CEDRIC LOMBARDO – ENJEUX RSE ET REGLEMENTATION EN CÔTE D’IVOIRE

Je m’appelle Cédric Lombardo, je suis de nationalité Franco-Ivoirienne. J’ai commencé ma carrière dans l’industrie spatiale en Europe. Les programmes spatiaux d’observation de la terre ont mis en évidence les enjeux du changement climatique ou d’autres activités non durables comme la déforestation, la gestion des bassins versants, etc. Devant la clarté de ces défis et surtout des solutions mobilisables, j’ai souhaité rentrer en Côte d’Ivoire pour créer BeDevelopment. Quand l’aventure a commencé il y a bientôt 10 ans, ce n’était pas évident. Certes les enjeux étaient clairs, mais la prise de conscience et la capacité d’agir restaient à bâtir. Nous avons la chance d’avoir aujourd’hui un secteur plus mûr, avec des enjeux mieux compris par les politiques et les organisations.

Quels sont, selon vous, les principaux enjeux RSE présents en Côte D’Ivoire ?

En tant que pays en développement, tout pour nous est un enjeu de développement durable. Notre problème à nous n’est pas seulement de penser aux générations futures, c’est de gérer les besoins des générations présentes : accès à l’eau, la santé, l’électricité, l’éducation etc. Tous les enjeux que vous retrouvez dans les ODD sont des enjeux natifs.

Nous avons des enjeux sectoriels qui sont plus aigus :

Secteur forestier

Nous avons le taux le plus élevé de déforestations du monde entre 1995 et 2015 et il faut comprendre les enjeux qui se cache derrière.

Si les populations entrent dans les forêts pour les transformer en plantations, elles ne le font pas par haine de la forêt. Il faut comprendre pourquoi. Notre principale économie repose sur l’agriculture, nous avons une croissance démographique exponentielle. Nous devons trouver vivres et habitats pour nos populations. Avec humour je vous dirais que, n’ayant pas prévu d’envahir les pays voisins, l’option choisi est celle de la déforestation. Car nos systèmes agricoles restent peu développés, dépendent des pluies, et si le paysan n’a pas accès à des outils améliorant sa productivité, il choisira une agriculture extensive. Après avoir compris les raisons qui ont poussé à agir ainsi, il faut mettre en place une stratégie associant reboisement et agriculture. L’État de Côte d’ivoire s’est ainsi engagé dans un programme agriculture zéro déforestation. Reste à démontrer et diffuser les itinéraires techniques auprès de tous les planteurs.

Secteur de l’agriculture

En 1977, La Côte d’Ivoire est devenue le premier producteur mondial de cacao. Ceci est le fruit d’une stratégie d’encadrement des planteurs par des sociétés d’État. Ces sociétés n’existent plus, le secteur privé doit les remplacer : de cet encadrement dépend leur accès à ces ressources qu’il commercialise.

Mais techniquement on fait comment pour arriver au programme de zéro déforestation? Les sols qui ont été dégradés, nous devons maintenant les restaurer. L’agriculture chimique ne nous y aidera pas, l’environnement oui.

Quelles sont les stratégies de fertilisation ? La sol. Nous devons comprendre que le travail d’un verre de terre ou d’un termite c’est de se nourrir de matières organiques pour en remonter les éléments minéraux et nutritifs en surface. Le tout en creusant des réseaux d’irrigation et d’aération dans la sol. Ceci n’est qu’un exemple. Et ce ne sont pas simplement des enjeux d’agriculture durable mais des stratégies de permaculture.

Pour s’adapter au changement climatique, chaque plantation doit devenir un agro écosystème. Par exemple, un cacaoyer n’est pas un arbre qui se retrouve en plein soleil naturellement. C’est un arbre qui vient des sous-bois des forêts sud-américaine. Il faut le cultiver en respectant son cadre naturel. Il faut gérer son ombrage, gérer l’humidité des sols, etc. La Côte d’Ivoire avait choisi le cacao plein soleil parce que nous voulions booster la production dans notre compétition avec le Ghana. Ce stress est certes productif, mais il réduira la productivité de long terme et accélèrera le vieillissement du verger, le fragilisant face aux maladies. Ce système n’est pas durable car un système durable, c’est celui qui survivra à l’intervention de l’homme après son départ.

Le travail forcé des enfants

Parlons aussi du travail des enfants en plantation. Nos planteurs sont souvent indexés sur ce thème. C’est l’une des thématiques du « supply chain management » en milieu rural que doivent traiter les entreprises qui s’approvisionnent auprès des petits planteurs.

Mais avant d’indexer l’un ou l’autre, posons-nous les bonnes questions. Êtes-vous sûr que le prix de votre tablette de chocolat est suffisamment élevé pour que le planteur puisse aussi payer la scolarité de ses enfants ? Y a t-il une école près de son village ? Si oui, y a-t-il une route pour y aller ? Y a t-il un professeur dans l’école ?

La présence d’un enfant dans une plantation n’est que le symptôme d’une réalité sociale et économique. C’est à toute cette chaîne de défis que nous devons répondre.

Ces problématiques ont poussé les grandes entreprises à lancer des projets où elles mettent en place des écoles, des centres de santé, etc. Lorsque nous parlons de RSE, nous avons cette idée de valeur partagée et donc de revenus partagés. Il faut équilibrer les revenus le long de la chaîne de valeur afin que le planteur s’en sorte véritablement. Si le consommateur s’émeut de voir des enfants dans des plantations est-il prêt à payer le juste prix ? Lorsqu’il consomme le produit finit, s’assure-t-il des bénéficies sociaux et environnementaux qui vont avec ?

Nous pourrions ainsi poursuivre dans tous les secteurs économiques : mines, énergie, eau, etc.

Quelles sont les avancées juridiques en matière de RSE en Côte d’Ivoire ?

La RSE est essentiellement, dans le monde, une démarche volontaire, nous parlons de soft law en langage anglo-saxon. Mais face aux enjeux, une règlementation s’impose pour aller plus vite dans la transition écologique.

Le code environnemental existe depuis 1996, Il s’est structuré en fonction des attentes des Nations Unies depuis RIO 1992. Il est appuyé par des décrets d’application. Hélas ce code est maintenant vieillissant et demande d’être modernisé face aux enjeux que nous connaissons.

Notre droit social est riche. L’existence de syndicats ivoiriens a toujours été reconnue. Les questions de santé et sécurité au travail sont prises en compte. Le code du travail a été rénové en 2015, il a introduit de nouveau  concept, tel que la prise en compte du handicap.

Nous avons aussi des avancées avec un nouveau code de l’électricité et un nouveau code minier, tous deux édictés en 2014. Rien que le code minier comporte une soixantaine de disposition en matière de durabilité

Nous avons surtout la loi d’orientation du développement durable de 2014 comporte 19 principes généraux qui sont déjà édictés. Une partie (le chapitre 3) concerne le secteur privé et une autre partie donne des missions à l’État. Cette loi prévoit 3 obligations qui doivent faire l’objet de décret. Chaque entreprise, répondant à certains critères, devra disposer d’un comité développement durable, ce dernier sera chargé d’élaborer le plan de développement durable de l’entreprise et de réaliser le rapport développement durable. Mais depuis 2014, un seul décret est entré en vigueur : le décret 2015-268 portant sur les comités de développement durable qui sont dotés de missions. Les deux dernières obligations font l’objet d’un avant-projet de décret dont nous espérons finir cette année les négociations.

Cette difficulté est récurrente : notre pays, sur papier est une œuvre d’art. La difficulté reste l’édiction des décrets ou arrêtés de mise en œuvre, et quand bien même sont-ils édictés, reste la question de l’application des textes.  Nous avons trop de textes légaux qui dépendent de telles mesures. Il faut alors faire un lobby mesuré auprès des ministères pour encourager la sortie des textes attendus. Ce ne sont pas les entreprises qui font ce lobby mais plutôt des acteurs comme nous.

Comment expliquez-vous que la Côte D’Ivoire soit plus avancée en matière de RSE que ses pays voisins ?

En Côte d’Ivoire, il existe un vrai travail de la part des ministères, dans la limite de leurs moyens. En attendant que cette architecture légale nationale soit pleinement opérationnelle, une grande partie de la RSE trouve sa source dans les relations internationales de nos entreprises.

Tenez compte des nombreuses filiales françaises présentes en Côte d’Ivoire. Leurs maisons mères ont des obligations de reporting en droit français, cette réglementation se retrouve indirectement prise en compte dans les systèmes de management des filiales. D’autres entreprises ivoiriennes commercent avec des entreprises françaises, elles se sont donc retrouvées face à des attentes de leurs partenaires en matière de RSE, ce qui a favorisé la prise en compte du concept.

Il y a aussi l’influence des investisseurs internationaux qui ont des exigences de durabilité. Par exemple la PROPARCO. Il faut aussi tenir compte de certaines sociétés privées d’investissement, comme Emerging Capital Partners, signataire des Principles for Responsible Investment des Nations Unies.

Tout ceci favorise, petit à petit, la prise en compte de la RSE par le secteur privé ivoirien. La seule difficulté devient alors pour eux la multitude de normes. Cette forêt de norme leur cache l’arbre de la RSE. Les entreprises ivoiriennes voient arriver des exigences légales nationales, ou celle de la France avec la loi Grenelle II ou la loi Sapin II. Elles font face à des normes d’investisseurs comme les normes de performance de la SFI. Quant aux normes ISO, il faut regrouper entre elles les ISO 26000, ISO 9001, 14001, 45001. Les forestiers doivent prendre en compte la norme OLB, l’agro-industrie voit du SAN, du HCF HCV… N’oublions pas les ODD, les principes directeurs de l’OCDE, le UN Global Compact….

Ainsi dès que l’on parle de RSE, les opérateurs privés ont devant eux un trop grand nombre de référentiels. Cela effraye et ils en oublient ce que j’appelle l’arbre de la RSE. Ce que je veux dire c’est que la RSE, ou plutôt la durabilité en entreprise, ce n’est que du bon sens économique « je ne vais pas détruire tout et donner moins d’opportunités à mes enfants que ce que la terre m’aura donné » et de l’humanisme “je prends soin des hommes autour de moi pour les encourager à faire de même pour mon entreprise ». La norme en soit n’a pas d’importance, elles sont toutes concordantes. Il faut savoir la dépasser pour ramener tous les acteurs à une véritable compréhension de ce que sont les enjeux RSE.

Monaem Ben Lellahom
Monaem Ben Lellahom

Group CEO and Founding Partner

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