Mamadou Lamine Beye a ouvert depuis 2017 son cabinet, Investissement Responsable Afrique, et compte parmi ses services, des conseils et accompagnements en investissement socialement responsable au Sénégal. En tant que consultant, il a récemment contribué à la mise en place d’un système de gestion environnementale et sociale pour la Caisse nationale de la société agricole du Sénégal, en collaboration avec un autre cabinet partenaire. Le rôle de M. Beye est d’aider les investisseurs et institutions financières à éviter les risques environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) et à saisir les opportunités qu’offrent les pratiques d’investissement responsable.
Nous avons eu la chance de pouvoir l’interroger pour son expertise et pour comprendre l’état de l’investissement responsable au Sénégal.
Il nous explique tout d’abord qu’il existe plusieurs types d’investisseurs responsables.
On distingue plusieurs types d’investisseurs responsables suivant l’importance accordée à la performance financière et à la performance ESG. À une extrémité, nous avons les investisseurs classiques qui ne se préoccupent que de la performance financière. À l’autre extrémité, nous avons les philanthropes qui visent juste des impacts environnementaux et sociaux dans leur octroi de dons ou leurs investissements. Nous avons entre ces deux extrêmes les investisseurs responsables qui intègrent des critères ESG dans leurs activités d’investissement. Ces investisseurs responsables veulent avoir de bonnes performances financières sans négliger leur performance ESG. C’est une manière simple de délimiter les frontières de l’investissement responsable. Mais en réalité, c’est plus complexe puisque certaines organisations dans les deux extrémités adoptent des démarches d’investisseurs responsables avec des intentions souvent différentes. Par ailleurs, les investisseurs responsables peuvent être classés en plusieurs sous-catégories suivant le degré d’intégration de critères ESG.
Pour le cas spécifique du Sénégal, nous pouvons classer les investisseurs responsables en quatre catégories.
Les investisseurs étrangers tels que la Société financière internationale (IFC), l’Agence française de développement, la Banque africaine de développement et Emerging Capital Partners ont déjà intégré des critères ESG dans leurs activités d’investissement. Les institutions financières ou les entreprises qui bénéficient de leurs investissements doivent les respecter. Les critères ESG à respecter tournent en grande partie autour des normes de performance de l’IFC en matière de durabilité environnementale et sociale.
Les investisseurs d’impact locaux et étrangers comme Investisseurs et Partenaires, Teranga Capital et Grofin (installé depuis quelques mois au Sénégal) qui visent une performance environnementale et sociale en plus de la performance financière.
Des banques et fonds locaux et étrangers qui ont intégré des critères ESG dans leur gestion de risques mais aussi pour accéder à certaines sources de financement qui ont des exigences ESG. Dans ce cas, les critères à intégrer peuvent varier suivant les exigences des bailleurs de fonds. L’argent de ces bailleurs devrait également être utilisé selon leurs exigences ESG. Ce type d’organisations peuvent par exemple financer des projets destinés aux femmes, aux jeunes ou ayant certains impacts environnementaux spécifiques.
Nous avons enfin des entreprises qui ne se définissent pas forcément comme des investisseurs responsables mais qui contribuent indirectement aux performances environnementales et sociales de fonds d’impact en participant à leur financement. C’est l’exemple de la Sonatel et d’ASKIA Assurances qui font partie des actionnaires de Teranga Capital. Comme les entreprises, certaines organisations à but non lucratifs participent à ces fonds d’impact. Ainsi, plusieurs fondations participent au financement de Grofin à côté de plusieurs entreprises et agences gouvernementales d’aide au développement telles que l’USAID et UKAID.
En plus de ces catégories, la finance islamique est également une forme d’investissement responsable qui se développe au Sénégal.
Le degré de risque des investisseurs.
En général, le degré de risque varie selon le type d’investisseur et le degré d’intégration de critères ESG. Plus on est proche de la première extrémité déjà décrite, plus on se soucie de la performance financière aux dépens des critères ESG. Plus on s’approche de la philanthropie, plus la performance environnementale et sociale l’emporte sur la performance financière. Entre les deux, nous avons les investisseurs qui intègrent les critères ESG juste dans la gestion de risques et la recherche d’opportunités financières. Par contre certains investisseurs cherchent des impacts environnementaux et sociaux mesurables parallèlement à la performance financière. Un sondage du Global Impact Investing Network dont les résultats sont publiés dans son Annual Impact Investor Survey 2017, a montré que la majorité des investisseurs d’impact visent des performances financières égales ou supérieures à celles qui existent sur le marché. Par contre, 16% des répondants seraient satisfaits avec une performance financière moins élevée qui permet quand même de préserver le capital. La plupart des investisseurs responsables rencontrés au Sénégal reflètent les résultats de ce sondage et cherchent la performance financière sans négliger les impacts environnementaux et sociaux. Une bonne partie de ceux qui ne prennent pas en compte les critères ESG reconnaissent quand même leur importance. Ils n’en font pas une priorité pour l’instant mais reconnaissent qu’ils pourraient ne pas continuer à les ignorer dans les années à venir à cause des pressions de plusieurs parties prenantes.
Quel est l’enjeu majeur pour les investisseurs responsables?
L’enjeu majeur est l’acceptation des projets par les communautés locales. Cela concerne tous les types de projets : des centrales de charbon aux centrales solaires ou aux parcs éoliens. Certains projets au Sénégal se sont bien passés avec des populations qui ont de meilleures conditions de vie après leur délocalisation. Par contre des projets continuent d’être bloqués ou annulés à cause de manques d’ententes avec les communautés locales.
A quel stade se trouve le Sénégal en ce qui concerne les rapports RSE/DD?
Pour l’instant, une très petite portion des entreprises sortent des rapports de développement durable. Avant de sortir un rapport, il faut avoir du contenu à y mettre. Or plusieurs entreprises en sont encore à leurs débuts en matière de RSE. Nous espérons que plusieurs entreprises vont suivre l’exemple de la Sonatel qui a sorti des rapports sur sa performance RSE ces dernières années. M. Beye insiste sur l’importance d’avoir des rapports. Ces rapports sont des sources d’informations pour plusieurs parties prenantes. Il précise qu’une entreprise qui ne divulgue pas sa performance RSE s’expose à certains risques et se prive de plusieurs opportunités. Elle peut être mal classée dans les notations qui prennent en compte les critères ESG. Elle peut ne pas passer les filtres d’investisseurs responsables ou de clients qui ont des politiques d’approvisionnement responsable. Elle peut entraîner la frustration chez ses employés qui voient leur entreprise classée derrière ses concurrentes qui font moins d’efforts en matière de RSE mais font preuve de plus de transparence.
Quelle tendance est-il possible de prévoir sur le marché sénégalais ou de l’afrique de l’ouest concernant l’investissement responsable?
L’investissement responsable prend de plus en plus de place et d’importance au Sénégal. Les investisseurs et institutions financières sont de plus en plus conscients de l’impact des risques extra-financiers sur la performance financière. Plusieurs d’entre eux sont convaincus que l’intégration de critères ESG augmente les possibilités d’accès à des fonds. Plusieurs organisations ont mis en place des système de gestion environnementale et sociale (SGES) pour respecter les exigences de certains investisseurs tandis que d’autres ont entamé la procédure d’accréditation par le fonds vert climat.
De plus, plusieurs écoles ou université offrent des formations liées au développement durable ou ont intégré dans leurs programmes des modules qui traitent de la RSE. M. Beye est intervenu dans certaines de ces formations comme par exemple à l’Institut Supérieur de Management (ISM), au Groupe École Supérieure de Commerce (Sup de Co), à l’Université de Saint-Louis, à l’Ecole Inter-Etats des Sciences et Médecine Vétérinaires et au CESAG.