Je m’appelle Aichatou Ndiaye Diallo et je suis à la tête d’un cabinet installé au Sénégal depuis 2015 qui s’appelle We Care. Nous travaillons principalement avec des dirigeants d’entreprises pour faire de leur engagement sociétal un élément stratégique et un levier de croissance pour l’entreprise. Ainsi, nous travaillons sur des problématiques environnementales, sociales et principalement dans l’élaboration de stratégie et le dialogue avec les parties prenantes. Nous complétons ce travail avec des formations pour que l’entreprise puisse mener ces activités de manière plus responsable; et du reporting pour mettre en valeur les actions mises en place.
Quels types d’entreprises sollicitent vos services?
Principalement des PME puisqu’au Sénégal, elles représentent près de 97% des entreprises. Nous travaillons également avec quelques grandes entreprises locales.
Pouvez vous nous en dire plus sur vos services?
Le premier volet de notre travail est la stratégie. Au sénégal, nous sommes dans une société où l’entraide est une valeur très importante. De plus, nous constatons que l’entreprise a un rôle essentiel dans cette société : en véritable moteurs économiques, elles se retrouvent souvent à assurer des services basiques en complément de l’action étatique ; tels que l’assainissement ou l’accès aux soins. C’est pourquoi, beaucoup de compagnies implantées au Sénégal font déjà des actions sociétales envers leurs salariés et envers les communautés locales. Pour cette raison, je parle de “faire de leur engagement sociétal un levier de croissance” puisqu’ils font déjà de la RSE. We Care intervient donc sur le plan stratégique, pour donner un cadre et formaliser leur RSE, les aider à identifier leurs actions et les leviers sur lesquels ils peuvent agir pour que leur engagement sociétal soit en cohérence avec leurs activités. Nous travaillons également beaucoup sur le reporting et la communication, qui font partie à part entière d’une stratégie RSE réussie.
Le second volet est le dialogue avec les parties prenantes ; en commençant par les cartographier. Ce volet rejoint celui de la stratégie. L’idée est d’identifier tous les enjeux et pour le faire, il faut passer par les parties prenantes.
Le troisième volet est la formation et la sensibilisation en terme de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE). Au Sénégal, il existe souvent un amalgame entre RSE et environnement. L’objectif est ainsi de faire comprendre que lorsque nous parlons de RSE, toutes les entreprises sont concernées et non uniquement les industriels.
Je vous entends employer le mot sociétal au lieu de social, pouvez vous nous expliquer ce choix?
Lorsque nous parlons de “Responsabilité Sociale”, nous allons parler uniquement de ce que l’entreprise fait pour ces propres salariés. Alors que selon moi, le terme de “sociétale” englobe l’environnement et l’engagement communautaire (que ce soit la communauté de l’entreprise, ces salariés, ou la communauté locale).
Quelle est selon vous la différence entre développement durable et RSE?
La RSE est l’application du développement durable au niveau des entreprises. Le développement durable est l’idée générale. Nous savons que nous devons faire en sorte de laisser aux générations futures une planète en bonne santé où ils pourront vivre. La RSE est la déclinaison de ce concept au niveau de l’entreprise; en d’autres termes, c’est savoir ce qu’il faut faire dans la compagnie pour atteindre ce but global.
Et la gouvernance? Pour vous fait-elle partie de la RSE?
Oui c’est un sujet de responsabilité sociétale de l’entreprise. Parce que l’entreprise a une responsabilité aussi au niveau éthique. Quand nous parlons de RSE, nous parlons de lutte contre le corruption, de bonne gouvernance, d’égalité des chances etc. qui sont aussi des sujets de gouvernance. Selon moi, une entreprise ne peut pas se développer sans une bonne gouvernance.
En faisant nos recherches, nous avons eu l’impression que la pratique du reporting extra-financier n’était pas populaire au Sénégal, est-ce vrai?
La pratique tend à se développer, en réalité 5 entreprises publient des rapports RSE accessibles au grand public :
- Tout d’abord, nous avons le groupe Sonatel, plus grande société du pays. Les bonnes pratiques en matière de transparence et de reporting mises en oeuvre par Orange ont certainement contribué à la publication de ce rapport. De plus, le groupe Sonatel démontre à ses parties prenantes grâce à son rapport RSE qu’il y a une redistribution de la valeur à travers des actions sociales.
- Les Grands Domaines du Sénégal (GDS), filiale de la société française Compagnie fruitière qui elle est soumise aux obligations de la loi Grenelle sur le reporting RSE. Là encore les bonnes pratiques de la maison-mère en termes de transparence sont appliquées, avec un rapport RSE qui s’aligne par rapport aux plus hauts standards en matière de reporting RSE que sont le GRI et la norme ISO 26000.
- Teranga Gold, filiale d’une société canadienne cotée à la bourse de Toronto, publie des rapports extra-financiers. Une fois de plus, l’influence de la société-mère dans la mise en place de démarche RSE et dans le reporting est importante, le Canada ayant élaborée une stratégie RSE déclinée au niveau des industries extractives qui opèrent à l’étranger.
A celles-là s’ajoutent les sociétés qui font partie du Pacte Mondial des Nations Unies ; et pour lesquelles la publication de rapport RSE fait partie de l’engagement :
- Neurotech Sénégal a publié un rapport qui suit les recommandations du GRI fin avril 2018. Ce rapport est considéré GC Advanced. C’est la première société au Sénégal et dans l’espace UEMOA à atteindre le plus haut niveau de distinction du Pacte Mondial des Nations Unies. C’est sous l’impulsion de son PDG que Neurotech s’est engagé auprès du Pacte Mondial. Après plusieurs années de pratique, l’entrée au capital d’un groupe d’impact investing a mis en évidence le besoin de faire évoluer la démarche et de s’inscrire dans une dimension internationale en atteignant le niveau GC Advanced et en appliquant les lignes directrices du GRI.
- Mineex est aussi membre du Pacte Mondial et dans ce cadre publie un rapport RSE annuel depuis 2015. Leur rapport est sur les droits de l’homme, la lutte contre la corruption, l’environnement, et les normes internationales du travail. Je pense qu’au départ c’était une conviction du dirigeant. L’entreprise n’a pas eu d’incitation particulière mais a réussi à en tirer profit et aujourd’hui elle est citée en modèle de démarche RSE réussie dans une PME.
Les autres participants sénégalais au Pacte Mondial, Labosol et Wari, n’ont pas encore publié de rapport RSE.
Le terme de GRI est-il connu au Sénégal? En faisant des recherches, nous avons l’impression que le terme d’ISO 26000 revient plus souvent.
Peu d’entreprises sénégalaises appliquent les lignes directrices du GRI même si quand nous regardons les 5 rapports que je vous ai cité, 4 d’entre eux s’alignent sur le GRI. C’est vrai qu’ISO 26000 apparaît plus dans les moteurs de recherche parce que les gens ont ce besoin de se raccrocher à quelque chose qu’ils connaissent. Par contre, ce que je reproche un peu à l’approche ISO 26000 c’est que les personnes ont tendance à parler de certification ISO 26000 alors que cela n’existe pas. L’ISO 26000 est une norme de recommandations, pas d’obligations.
Et l’Etat ? Existe-t-il des incitations de sa part?
Il y a eu des incitations législatives qui ont été pilotées par le conseil économique social et environnemental. Il a émis des recommandations et encourage l’Etat et les législateurs à mettre en place des lois favorables au reporting RSE. Le nouveau code minier applicable depuis 2017 met également en place des recommandations concernant la transparence et la communication sur la RSE. Le problème est le manque de décrets d’application.
Comment voyez vous les changements? Pensez vous que dans un an l’Etat sera plus impliqué?
A mon avis pas l’année prochaine parce que nous serons dans une année électorale. Par contre, j’espère que dans les 5 prochaines années, nous arriverons à prendre plus au sérieux ces thématiques et j’espère qu’en voyant de plus en plus de PME s’impliquer, nous arriverons à créer un mouvement.
Quels sont les obstacles que vous avez pu rencontrer pour convaincre les entreprises à adopter une stratégie RSE?
Le premier obstacle est le manque de compréhension. Les interlocuteurs que j’ai eu ne savent pas ce qu’est la RSE. Ils ne font pas forcément la différence entre RSE et environnement.
Le second obstacle est que les gens ne voient pas l’utilité immédiate. Par exemple, pour les bien de consommations, les consommateurs sénégalais ne vont pas choisir une marque en particulier parce qu’elle est plus responsable. L’entreprise ne voit donc pas d’incitation à investir dans la RSE.
Le troisième obstacle est l’aspect financier. Faire de la RSE a un coût. Et il n’y a que trop peu d’organismes qui soutiennent financièrement la mise en place de démarche RSE.
Les entreprises qui s’engagent sont souvent celles dont les dirigeants sont déjà sensibles à ce sujet.
Quel service les PME sollicitent-elles le plus?
Les PME vont principalement demander des formations en interne, de la sensibilisation et de la rédaction de politique : politique environnementale, politique anti corruption, etc.
Pourquoi ces entreprises ne demandent-elles pas la rédaction de rapports?
En général, les entreprises sénégalaises ne veulent pas communiquer sur des informations sensibles pour diverses raisons. Par exemple, beaucoup d’informations sont dans les rapports RSE qui suivent les lignes directrices du GRI, comme le chiffre d’affaires, pourtant, les PDG ne sont pas à l’aise pour communiquer dessus. Je pense que nous devons d’abord passer le cap du reporting financier avant même de passer le cap du reporting extra-financier. Il y a un réel travail à faire au niveau de la transparence.